La cour d’assises entre fiction et réalité
Par Le Figaro, Publié le
PLANETE + CRIME ET INVESTIGATION / 21H00 – Le passionnant documentaire « Dans la tête d’un juré », réalisé par Emmanuel Bourdieu, mêle acteurs et professionnels de la justice et propose une plongée âpre au cœur de l’intime conviction.
Il s’agit ici du procès d’un agriculteur, sorte de mélange de Tony Meilhon et d’Émile Louis, accusé du meurtre particulièrement atroce d’une joggeuse. Au milieu de comédiens, tous épatants de justesse à commencer par Ludovic Berthillot, qui interprète l’accusé, les débats sont conduits par Dominique Coujard, qui fut un grand président d’assises, encadré par deux vrais magistrats ; la défense est assurée par l’avocat Louis Balling et la partie civile, assistée par sa consœur Julia Minkowski. Le ministère public est représenté par Bruno Sturlese, avocat général de son état. Le commissaire (qui, cela ne s’invente pas, porte le nom d’un client de Me Balling dans la vie réelle), le légiste, la psychologue sont des professionnels authentiques. Derrière la caméra, la formidable chroniqueuse judiciaire du Monde, Pascale Robert-Diard, apporte son expertise de l’audience.
Conscience des citoyens
Le scénario de ce film âpre est, en réalité, contenu dans l’article 353 du Code de procédure pénale: «La loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs: “Avez-vous une intime conviction?”».
C’est cela que montre le réalisateur, dans un constant va-et-vient entre l’audience, avec ses silences, ses larmes, ses ficelles et l’impression qu’elle a produite sur les jurés, et les trois magistrats filmés pendant le délibéré. On entend s’exprimer le bon sens, à travers des questions parfois naïves mais jamais sottes. Surtout, on voit sans cesse poindre l’humanité des «juges d’un jour». Confrontés à un crime épouvantable – un viol probable suivi d’un démembrement -, les jurés ne s’égarent pas sur la voie de la vengeance: «C’est quand même un homme très meurtri», glisse l’un d’eux au sujet de l’accusé.
Quand sonne l’heure du vote sur la culpabilité, vers la 50e minute, la caméra saisit le décompte, à voix haute, des suffrages. Quand la décision – on ne vous dira évidemment pas laquelle – est sortie de l’urne, le président arrête les opérations: nul ne doit savoir si elle a été prise à l’unanimité ou pas. Le secret du délibéré protège, aussi, la conscience des citoyens qui ont rendu le verdict au nom du peuple français. Un film admirable, du début à la fin.