Marc Machin : retour sur une erreur judiciaire en sept étapes

Par FranceInfo, Mis à jour le 17

Après avoir passé sept ans en prison pour le meurtre d’une femme sur le pont de Neuilly, le jeune homme, jugé à partir de lundi devant les assises de Paris, devrait devenir la 8e personne en France à être acquittée lors d’un procès en révision.

Un épilogue. Huit ans après avoir été condamné une première fois à dix-huit ans de prison pour le meurtre d’une femme sur le pont de Neuilly en 2001, Marc Machin comparaît une troisième fois devant les assises, à partir de lundi 17 décembre. Le jeune homme, aujourd’hui âgé de 30 ans, devrait devenir la huitième personne, depuis 1945, à être acquittée lors d’un procès en révision. Francetv info déroule le fil de l’une des plus importantes erreurs judiciaires françaises.

Un crime sanglant et un témoin crédible

Ce samedi 1er décembre, en 2001, Marie-Agnès Bedot presse le pas sur le pont de Neuilly (Hauts-de-Seine) pour se rendre à sa salle de sport. Il est 7h30 du matin, les lieux sont déserts. Le corps de cette mère de famille, âgée de 45 ans, est découvert deux heures plus tard par un passant. Elle gît face contre terre, dans une mare de sang. L’autopsie révèlera qu’elle a été lardée de plusieurs coups de couteau, sans doute un couteau à pain.

Condamné deux fois pour ce crime à dix-huit années de réclusion criminelle, Marc Machin, 30 ans, comparaît pour la troisième fois devant une cour d’assises, à Paris. Son procès en révision s’est ouvert lundi matin devant la cour d’assises de Paris. L’accusé, qui comparaît libre assisté de Me Louis Balling, avait été condamné à 18 ans de réclusion criminelle pour un meurtre, dont l’auteur véritable a été démasqué en 2008.

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Sur le pont de Neuilly (Hauts-de-Seine), à l’endroit où Maria-Judith Araujo a été tuée le 22 mai 2002.  (JEAN-MARIE HEIDINGER / MAXPPP)

La police judiciaire des Hauts-de-Seine arrive sur les lieux. L’enquête est lancée. Le lendemain, une infirmière affirme aux policiers avoir été abordée sur les lieux du crime, le samedi vers 7h35, par un individu. Selon ses propos rapportés par la journaliste du Parisien Valérie Mahaut dans Une erreur judiciaire presque parfaite (éd. du Moment), il aurait proposé abruptement de lui “sucer la chatte”. Effrayée, l’infirmière est partie en courant, sans rien remarquer d’autre. Invitée à le décrire, elle évoque un grand jeune homme de type européen, les cheveux courts et bruns, portant notamment un blouson de cuir marron type aviateur avec un col en fourrure beige.

Un suspect au passé judiciaire chargé

La phrase salace prononcée par l’individu va mettre la puce à l’oreille d’un policier de Suresnes. “Il se rappelle avoir interpellé récemment un jeune homme pour une violente agression sexuelle. Il avait prononcé une phrase similaire”, écrit Valérie Mahaut. Il s’appelle Marc Machin, comme son père, un gardien de la paix qui vit dans le 18e arrondissement à Paris. Agé de 19 ans, le jeune homme a déjà un casier judiciaire chargé : vols, violences avec armes et deux agressions sexuelles.

Dans Seul contre tous (éd. Pascal Galodé), son livre paru en 2009, il décrit lui-même son parcours chaotique. Confié à la Ddass à 5 ans après une violente dispute entre ses parents – sa mère a tiré dans le mur avec l’arme de service de son père -, il est ensuite placé dans une famille d’accueil. Il y subit des viols de la part d’un adolescent. A 8 ans, il atterrit chez ses grands-parents, à Marseillan (Hérault). Malgré la mort de sa mère, un an après, du sida, il passe là “les plus belles années de sa vie”. Mais sa grand-mère meurt d’un cancer quatre ans plus tard. Il passe alors de foyer en foyer jusqu’à ce qu’il regagne le domicile de son père à l’adolescence. Il ne tarde pas à sombrer dans la délinquance. A 19 ans, sans emploi, il passe son temps à boire et fumer du cannabis.

Lorsque les policiers de la Crim’ viennent l’interpeller chez son père, ils repèrent dans la chambre, pendu à un cintre, un blouson de cuir marron avec un col doublé de fourrure synthétique. Ils pensent alors tenir leur suspect.

Des aveux

Dans les locaux du 36 quai des Orfèvres, Marc Machin livre son emploi du temps de la nuit du vendredi 30 novembre au samedi 1er décembre. Il affirme avoir dormi chez un copain, Gérard, en l’absence de celui-ci. Egalement présent dans le studio du 18e arrondissement, selon lui, Francky, un autre ami. Mais son alibi s’écroule car ces deux derniers démentent. Puis l’infirmière l’identifie de “façon quasi certaine” derrière une glace sans tain où il pose seul, revêtu du fameux blouson. Marc Machin, loin de tenir un agenda précis de ses journées et de ses nuits de galère, embrumées par l’alcool et le cannabis, commence à douter de lui-même. “A la fin de cette deuxième journée de garde à vue, j’en viens à me demander si je n’ai pas un dédoublement de personnalité, comme Guy Georges, le tueur en série.” Son erreur est d’en faire part aux enquêteurs.

Entre-temps, Marc Machin a eu accès à des éléments du dossier. Il affirme qu’un policier a fait tomber une photo de la scène de crime à ses pieds avant d’aligner les clichés de la victime quelques instants sur le bureau. La brigade criminelle a toujours démenti. Quelques heures plus tard, il est reçu dans le bureau de Jean-Claude Mulès, figure historique de la Crim’, spécialiste des aveux : “Il me prête un gilet, m’offre un chocolat chaud et un paquet de cigarettes… Il me promet qu’il plaidera en ma faveur pour faire passer ça en homicide volontaire, que je pourrai sûrement sortir au bout de cinq ans en liberté conditionnelle, qu’il pourra aussi me pistonner pour entrer dans la légion étrangère.” Surtout, il lui parle de son enfance, devinant qu’il a été victime d’abus sexuels. Le jeune homme craque et passe aux aveux. Il les réitère devant le juge d’instruction, pressé qu’on arrête de lui poser des questions.

Deux condamnations

Marc Machin est placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Nanterre. Il est loin de se douter qu’il passera sept ans en prison, transféré à plusieurs reprises. Il a repris ses esprits et clame désormais son innocence. Il attend avec impatience son prochain rendez-vous avec le juge d’instruction Thierry Bellancourt, le 8 janvier 2002. “Je suis étranger à tout cela. Je n’ai rien à voir avec ce meurtre. J’attends les résultats ADN”, lui annonce-t-il d’emblée, expliquant les conditions de sa garde à vue et les pressions des enquêteurs pour le faire avouer.

Marc Machin est persuadé que l’expertise scientifique va le sortir de là. Les résultats tombent fin juillet : aucune trace ADN de Marc Machin ne figure sur la victime ou sur la scène de crime. Néanmoins, il reste le suspect numéro 1 et n’est pas relâché. “A partir du moment où les policiers et le juge d’instruction ont été convaincus que Marc Machin était l’auteur du crime, ils n’ont plus cherché ailleurs”, note Valérie Mahaut.

Deux mois plus tôt, le 22 mai 2002, le corps de Maria-Judith Araujo est retrouvé sur le pont de Neuilly. Cette femme de ménage sans histoires a été tuée à coups de tesson de bouteille et violée. Malgré les similitudes avec le crime commis un an plus tôt, le juge d’instruction refuse de joindre les deux dossiers. Marc Machin comparaît devant les assises des Hauts-de-Seine le 9 septembre 2004. Il est condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle. Une peine confirmée en appel le 30 novembre 2005, avec douze ans de sûreté en prime. Son pourvoi en cassation est ensuite rejeté. “Ça y est, je rend les armes, raconte-t-il a posteriori. Ce n’est pas une bataille mais la guerre que j’ai perdue.”

Un coup de théâtre

C’était sans compter sur la volonté de David Sagno de soulager sa conscience. Dans la nuit du 3 au 4 mars 2008, ce SDF de 33 ans d’origine guinéenne pousse la porte du commissariat de la Défense. “Je suis venu me constituer prisonnier pour deux meurtres”, lâche-t-il aux policiers éberlués. Il revendique très calmement avoir tué Marie-Agnès Bedot et Maria-Judith Araujo. Il livre des détails troublants : le nom du chanteur qui figure sur le CD volé dans le sac de sport de la première victime, qu’il dit avoir mordue à la main droite. La marque de la bouteille de mousseux dont le tesson a servi à égorger la seconde. David Sagno affirme aux enquêteurs avoir lapé le sang de ses victimes avant de les violer. En réalité, seule Maria-Judith Araujo l’aurait été, selon les résultats de l’autopsie. Mais les premières expertises donnent du crédit au reste de ses déclarations : son ADN est retrouvé sur les vêtements de Marie-Agnès Bedot.

Le 28 mars 2008, la ministre de la Justice, Rachida Dati, saisit la commission de révision des condamnations pénales. Mais Marc Machin, qui trépigne en prison, va devoir attendre encore avant d’obtenir sa libération. Peu prompte à se dédire, la justice s’oriente vers une complicité entre les deux hommes, qui ont séjourné pendant quinze jours ensemble dans la maison d’arrêt de Nanterre à quelques cellules d’écart. Mais lors d’une confrontation devant le juge d’instruction, ils assurent ne pas se connaître et David Sagno affirme qu’il a agi seul. Une nouvelle preuve achève de convaincre la commission de remettre Marc Machin en liberté en juillet : l’ADN de Sagno est également retrouvé sous un ongle de la première victime.

Un retour à la case prison

En réalité, Marc Machin ne sort de prison que le 7 octobre 2008. Juste avant d’apprendre que la commission de révision va autoriser sa remise en liberté, le jeune détenu, à bout de nerfs selon lui, a agressé un surveillant. Il prend quatre mois ferme. Après avoir profité de sa liberté et de ses proches retrouvés pendant un peu moins d’un an, Marc Machin est de nouveau interpellé le 15 juin 2009 pour trois agressions sexuelles, dont deux sur des mineures, et placé en détention provisoire.

Le 18 mai 2010, alors que la Cour de révision vient d’annuler sa condamnation dans le meurtre du pont de Neuilly, il écope de trois ans de prison ferme. Le tribunal lui impose également cinq ans de suivi socio-judiciaire, avec injonction de soins. “J’étais rattrapé par mes vieux démons, ma colère et ma frustration ont pris le pas sur ma réflexion”, a-t-il plaidé devant les magistrats. Le 4 décembre 2011, il bénéficie d’une libération conditionnelle mais est de nouveau incarcéré en janvier 2012 pour non respect de ses obligations de suivi. Un mois plus tard, il comparaît comme témoin au procès de David Sagno, condamné le 23 février à trente ans de réclusion criminelle pour les deux meurtres du pont de Neuilly.

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Croquis d’audience réalisé le 20 février 2012, qui représente David Sagno au premier jour de son procès devant la cour d’assises des Hauts-de-Seine, à Nanterre. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Un acquittement annoncé

Ce verdict rend quasi certain l’acquittement de Marc Machin au terme de son procès en révision. Il comparaîtra libre, puisqu’il a quitté la prison il y a quelques semaines. Mais si la commission de révision a ordonné un nouveau procès, c’est bien pour dissiper les dernières zones d’ombre. La thèse d’une complicité entre David Sagno et Marc Machin n’est pas totalement écartée. Au procès du SDF, l’avocate de la sœur de Marie-Agnès Bedot, Nathalie Ganier-Raymond, restait pour sa part convaincue que Marc Machin se trouvait bien sur le pont de Neuilly le jour du crime.

L’avocat de Marc Machin, Louis Balling, se montre au contraire confiant. Selon lui, “il n’y a pas d’autre solution que l’acquittement. David Sagno était dans un délire, il a décrit un rituel qui exclut toute forme de complicité.” Son client attend ce troisième procès “avec impatience”“Il est très en colère et aura besoin de dire les choses avec véhémence”, prédit Louis Balling. Pour tourner la page, Marc Machin compte notamment sur une indemnisation importante pour ses sept années passées en prison.

Par Catherine Fournier – France Télévisions

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