L’erreur fait la force

Par Libération, Publié le 18

Ils n’ont pas le même style. L’un a gardé le pas de balancier, le rythme lent de la prison, où une heure passée à fumer, c’est déjà une heure de moins à tuer. L’autre court, tourbillonne de rendez-vous en appel urgent. Et pourtant ce vendredi, trois jours après l’enfièvrement de la libération de Marc Machin, l’ex-détenu et son avocat, Louis Balling, se ressemblent. Même chaleur désarmante, même tutoiement direct. Même franchise à présenter regrets comme fiertés. On ne s’embarrasse pas de précautions quand on vit l’exception.

Marc Machin et Louis Balling, c’est l’inverse d’une histoire d’amour. Ça commence par l’incompréhension, la frustration, l’engueulade et l’échec. Ça finit par la rencontre, la confiance, l’estime et la victoire. Le dernier chapitre est le plus spectaculaire. Le 4 mars, un SDF, David Sagno, s’accuse du crime pour lequel Marc Machin, 26 ans, a été condamné deux fois à dix-huit ans de prison. Sagno donne des détails, explique comment il a tué Marie-Agnès Bedot, une mère de famille de 45 ans retrouvée poignardée sous le pont de Neuilly en décembre 2001. Apparaît alors dans les médias Louis Balling, un avocat de 41 ans aux allures de GO – convivialité et cheveux longs au carré. Il obtient de la ministre de la Justice, Rachida Dati, qu’elle saisisse la commission de révision des condamnations pénales. La procédure est rarissime. Depuis le début du XXe siècle, seulement six personnes condamnées à tort pour des crimes ont été innocentées grâce à une révision. Balling demande ensuite une suspension de peine. Refusée. Puis l’ADN de David Sagno est retrouvé sous un ongle de Marie-Agnès Bedot. Suspension accordée. Sauf qu’entre-temps, Marc Machin, ne «supportant plus» l’attente, a «pété les plombs» et agressé un surveillant : quatre mois ferme. Mardi 7 octobre, enfin, il sort.

Assis dans le salon du petit appartement parisien de son père, un ancien gardien de la paix, Marc Machin dit qu’il en veut à la justice, mais qu’il n’a pas l’intention de «ressasser». «J’ai besoin de me reconstruire. Enfin, de me construire tout court. Parce qu’avant j’étais pas construit du tout.» Marc Machin a un vocabulaire sentimental. Un vocabulaire d’affamé. Au téléphone, il dit «mon coeur»,«ma mamounette»,«plein de gros bisous» à Josette, «sa» visiteuse de prison, qui le soutient depuis plusieurs années. Il dit qu’il se régale, qu’il mange plein de bonnes choses depuis qu’il est «à l’extérieur». Il a l’envie de plaire des enfants. Cette quête timide et éperdue qui l’a conduit à avouer un crime qu’il n’avait pas commis, parce que le flic, en face, lui a promis qu’il le protégerait. Qu’il ne le laisserait «jamais tomber». Marc avait alors 19 ans. «J’étais seul, triste, et perdu.»

A l’âge de 3 ans, Marc est placé dans un foyer – «en raison d’un contexte familial violent», élude-t-il. Sa mère meurt du sida un an plus tard. Il part ensuite dans une famille d’accueil. Y subit coups et brimades. A l’âge de 7 ans, il est violé par un garçon de 17 ans. «Ça a duré des mois. J’ai triplé mon CP. A 9 ans, je ne savais ni lire ni compter.» Sa grand-mère paternelle le récupère alors. «Les quatre plus belles années de ma vie. En fait, mes quatre seules belles années.» L’enfant devient premier de sa classe, brille à la natation, au judo, au ping-pong. Sa grand-mère meurt alors qu’il a 12 ans. Cancer des os. Il part habiter avec son père, porte de la Chapelle. Commence à traîner. Sèche le collège. Petite délinquance, vols, violences, bandes et défonce. «Je ne peux pas dire qu’on n’ait rien fait pour moi. Il y a un éducateur, un juge pour mineurs, qui m’ont tendu des perches. Mais j’étais trop désespéré pour les attraper.»

Louis Balling a eu une enfance heureuse. Père haut fonctionnaire, mère au foyer. Né à Paris, grandi à Neuilly. Dès l’âge de 7 ans, il affirme qu’il deviendra avocat. L’aboutissement, selon lui, de son goût «pour la résolution des conflits». Etudiant en droit, il s’offre un détour par le Club Med, où il enseigne un an le ski nautique. Puis passe le barreau. Il ne fait que du pénal, en défense surtout, mais aussi en partie civile – «c’est important pour garder une vision équilibrée». Il a un beau bureau avenue Victor Hugo, deux beaux enfants en photo sur son fond d’écran. Il parle en riant de son «ego», répète qu’il est «très flatté» d’être en dernière page de Libé, mais pourtant rechigne à parler de lui pour sans cesse revenir à «Marc». «Marc, c’est un renard. Au sens Petit Prince du terme. Il faut l’apprivoiser. Si tu l’abordes sur le terrain de la force, il sera toujours plus fort que toi. Si tu l’abordes sur le terrain de la bêtise, il saura toujours être plus bête.»

L’avocat résume ainsi le fiasco du premier procès, en septembre 2004. Traqué, défiant et agressif, Marc Machin se présente «sous le pire de ses aspects». «Il ne comprenait pas ce qu’il faisait là, puisqu’il était innocent. Je lui demandais d’être calme, il était fou de colère. Il répétait que s’il retrouvait celui qui avait tué Marie-Agnès Bedot, il l’égorgerait de ses propres mains. Tous mes conseils glissaient sur lui. Je n’avais aucune prise.»

Au moment d’envisager l’appel, l’avocat et le client s’écharpent. «Il m’a proposé de plaider coupable. Je lui ai dit d’aller se faire foutre», résume Marc. «Je ne voulais pas retourner au massacre, je ne voyais pas d’autre moyen de réduire sa peine», dit Balling. L’appel se fait donc sans lui. Marc est défendu par un avocat commis d’office qu’il trouve «très bien». Il reprend dix-huit ans.

Deux années passent. Puis vient mars dernier et ce que Marc a pris l’habitude d’appeler «le rebondissement». Alerté par le parquet, Louis Balling se présente dans sa cellule. «Je l’attendais dans un coin, bras croisés, mime Marc. J’lui ai dit : “Alors, c’est qui l’innocent ?”» Ses codétenus, dont il est devenu l’attraction, lui conseillent de changer de «baveux» : «Prends une star, Vergès ou Moretti !» Mais Marc a l’affection encore plus tenace que la rancoeur. Il cherche ses mots. «Je lui en voulais de m’avoir laissé tomber. Mais. Balling, c’est quelqu’un de sensible. On avait appris à se connaître.» L’avocat traduit le même attachement. «Je lui suis redevable de la plus belle leçon de ma carrière. Il s’est senti abandonné. Et quand il s’est retrouvé en position de force, de choix, il a décidé de repartir avec moi. Il m’a pardonné.»

L’histoire n’est pas terminée. La révision du procès va prendre du temps. Quand Marc Machin en parle, il n’évoque ni les excuses, ni les réparations qu’il est en droit d’attendre. Il n’a qu’une phrase, en boucle : «Je veux qu’on dise officiellement que je suis innocent.» En attendant, il aimerait s’installer à la campagne, et devenir soigneur de chevaux. «Parce que c’est un animal noble. Et fidèle.» A côté du canapé où il est assis sont posées ses affaires de prison. Il ne les a pas encore déballées. Les livres qu’il a lus pendant ces sept ans sont sur le dessus du sac. Tous ont le mot «espoir» sur la jaquette. Photo Jérôme Bonnet MarcMachin et Louis Balling en 8 dates 24 juillet 1967 : Naissance de Louis Balling à Paris (XVIIe). 14mai 1982 : Naissance de Marc Machin à Paris (XIXe). 1985 : Marc Machin est placé en foyer. Sa mère meurt un an après. 13 décembre 2001 : Arrestation de Marc Machin pour le meurtre du pont de Neuilly. 9 septembre 2004 : Marc Machin est condamné à dix-huit ans de prison. 30 novembre 2005 : Condamnation confirmée en appel. 4mars 2008 : David Sagno s’accuse du meurtre. 7 octobre 2008 : Marc Machin est libéré.

Par Ondine Millot

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